Nous sommes à la fin des années 60, Citroën est exsangue. Ambitieuse et visionnaire, la marque s'est dispersée dans une multitude de projets pharaoniques et dispendieux. Ce fut d'abord le rachat de Panhard en 1965, puis celui de Maserati en 1968. Le développement de la SM, à lui seul, engloutira des sommes colossales. Conjointement, Citroën s'entête à poursuivre via la Comotor, le développement du moteur rotatif Wankel (GS birotor, M35) qui ne mènera jamais à rien sinon à la ruine. 

Parallèlement, le monde change et Citroën ne semble pas s'en apercevoir : un comble pour une marque visionnaire !  Le premier choc pétrolier arrive à grand pas, le public va nécessairement demander une petite berline moderne, utilitaire et, surtout, économe (... la VISA !). Mais au lieu de cela,  la marque aux chevrons ne dispose dans ses show-rooms que de vieillissantes 2CV, Dyane et AMI ou bien alors de goulues DS et SM. 

Seule la GS sortie en 1970 (déjà trop tard disent certains analystes), pouvait en partie correspondre à ces nouveaux besoins. 


Pourtant, l'étude de cette fameuse petite berline moderne, remplaçante de l'AMI et chaînon manquant d'une gamme cohérente à l'aube des seventies, remonte à 1968. Citroën, déjà en prise à de lourds soucis financiers, mais aussi pour contrer la récente alliance Peugeot-Renault, conclue un accord avec Fiat sous l'égide de la holding PARVEDI. Le projet "RA" sera lancé, sur la base de la Fiat 127. Toutefois, comme en attestent les rares clichés de la maquette, dessiner une carrosserie à quatre portes sur une plate-forme aussi courte que celle de la 127 défie les lois de l'esthétique ! À ceux qui trouvent la VISA laide, voyez un peu à quoi nous avons échappé...



 

De toute façon, l'entente entre les gens du Quai de Javel et ceux de Turin n'est pas au beau fixe. Le choix du code "RA" fut peut être prémonitoire car le projet sera Rapidement Abandonné et n'attendra pas la fin des accords Citroën-Fiat qui interviendra en 1973. Les équipes Citroën repartent de la feuille blanche dès 1971, et c'est Jean Giret qui conduira le projet de petite berline baptisé "Y". 

La plate-forme est totalement nouvelle et 100% issue de la matière grise chevronnée. Une ingénieuse suspension à l'arrière permet de totalement libérer le seuil de chargement de cette berline 2 ou 4 portes à hayon. Deux motorisations sont envisagées : le bicylindre de l'AMI et le quatre cylindres de la GS. L'accord pour la réalisation de prototypes roulants est donné par la Direction dans l'objectif de commercialiser le véhicule dès 1976.



 

1973, nouveau rebondissement dans la gestation de la VISA. L'industrie automobile est frappée de plein fouet par le premier choc pétrolier. Michelin, alors actionnaire principal de Citroën, revend ses parts à Fiat. Toutefois, le gouvernement français, inquiet de voir la marque historique à jamais engloutie par le géant italien oppose son veto. C'est ce qui marquera la fin de l'accord Citroën-Fiat. En 1974, Citroën est déclarée en faillite. Pour sauver les milliers d'emplois, le gouvernement demande à Peugeot d'absorber la marque aux chevrons : ce sera la naissance du groupe PSA. 

Mais cette nouvelle donne va, une fois de plus,  mettre à l'eau le projet "Y" qui, pourtant, semblait voué à un bel avenir.


1975, le temps des économies d'échelle et des plates-formes communes est arrivé. Peugeot accepte de mener à terme  le projet en cours, à la seule condition qu'il puisse utiliser la plate-forme et les motorisations de la 104. Rebaptisé "VD", le projet  est désormais piloté par Boris Gonzalez mais Jean Giret est toujours en charge de la partie esthétique. C'est à lui et son équipe que l'on doit les désormais fameux boucliers de la VISA, et notamment celui de l'avant, qui facilitait le montage des deux blocs moteurs imposés au cahier des charges : bicylindre Citroën et 4 cylindres Peugeot.



1977, les lignes définitives de la VISA sont figées. L'outil de production est mis en place, au prix de gros investissements, à l'usine de Rennes-La-Janais pour la voiture et à celle de Levallois pour l'assemblage du nouveau bicylindre 652 cc. 



 

Dès le début de l'année 78, les paparazzi de l'Automobile Magazine surprennent la remplaçante de l'AMI au cours d'essais d'endurance au Portugal. Mais ça n'est que le 23 juin 1978 que Citroën publie officiellement un communiqué de presse annonçant la présentation, au prochain Salon de Paris,  de la nouvelle berline VISA. Les caractéristiques, motorisations et niveaux de finition sont également dévoilés. 


La VISA va jouir d'un lancement absolument grandiose, comme aucune autre Citroën n'avait connu auparavant. Cela débute avec la presse spécialisée. Du 26 août au 1er octobre 1978, ce sont plus de 400 journalistes venus des quatre coins du monde qui sont invités à essayer la nouvelle VISA dans un cadre idyllique puisqu'il s'agit de la station balnéaire de Kallithea proche de Thessalonique, dans le nord de la Grèce. Ensuite démarrera, là encore, un plan média sans précédent dans l'histoire de la marque. Radio, télévision, affichage, presse, c'est bien simple, entre le 23 septembre et la fin octobre, la VISA est partout ! Et évidemment au Salon de Paris du 5 au 15 octobre. 


Il faut dire qu'avec cette nouvelle auto, le Quai de Javel négociait un virage délicat : les citroënistes de longue date allaient-ils bouder cette VISA aux forts accents francs-comtois ? Les clients habituellement Peugeot (et surtout Renault) allaient-ils être séduits par la version Super à motorisation plus conventionnelle ?

C'est sur l'ensemble de ces cordes que le service marketing a dû jouer l'air de la campagne publicitaire, tantôt en mettant en avant la Super à la mélodie sochalienne, tantôt les Special et Club jouant une fanfare deuchesque  au bicylindre alto. 


 


L'accueil chaleureux de la presse spécialisée fut unanime. Que ce soit en terme de performances, de tenue de route, d'habitabilité, d'ergonomie, de sobriété et j'en passe, la VISA était une réussite. C'était ENFIN, la petite berline moderne que Citroën aurait pu, aurait dû proposer depuis plusieurs années déjà. 

Mais très rapidement la question de l'esthétisme fut soulevée... les journalistes les moins acerbes préciseront qu'il appartiendra à la clientèle de juger la ligne de la VISA, d'autres n'hésiteront pas à publier un avis déjà bien tranché sur la question. Le mal est insidieux et les préjugés selon lesquels la VISA est d'une laideur affligeante ne tarderont pas à se répandre dans l'inconscient collectif. 


Aujourd'hui, peu de passionnés des chevrons s'accordent à reconnaître la VISA comme la dernière "vraie" Citroën et, pour abonder dans leur sens, nul ne pourra nier qu'il s'agit, avec la LN, de la première Citroën de l'ère PSA. Pourtant et avec le recul nécessaire, je crois qu'il serait bon de modérer ce jugement, au moins pour les versions bicylindres qui nous intéressent ici.  

Certes, la plate-forme est signée Peugeot avec tout le classicisme que cela implique en terme de liaison au sol (point d'hydraulique ou de suspension façon 2CV et dérivés) mais j'invite tout de même les observateurs à reconsidérer les très nombreuses innovations, spécialités Citroën, dont a bénéficié la VISA. 


Commençons avec les  boucliers en élastomère thermoplastique, ceux-là même qui firent couler tant d'encre. Leur mémoire de forme leur permettait de subir sans dommage les petits chocs urbains (les feux intégrés au bouclier arrière étaient, quant à eux, montés sur un dispositif rétractable). Le bouclier avant avait le double avantage de recevoir les deux types de motorisation (2 ou 4 cylindres), et d'autoriser un accès aisé et rapide au moteur lors les opérations mécaniques. Notez bien que cette architecture sera généralisée à l'ensemble de la production automobile... une bonne décennie après la VISA.


Le balai d'essuie-glace mono-bras était également une première sur une berline de ce gabarit. Parlons des portes qui s'ouvrent quasiment à un angle de 90°, autorisant ainsi un large accès à bord. Parlons de la gestion du volume et de la stupéfiante habitabilité intérieure rapportée à l'encombrement extérieur. Parlons du satellite PRN qui permet d'actionner toutes les commandes d'une main et sans qu'elle quitte le volant, une invention géniale typiquement Citroën. Evoquons le volant mono-branche, tout de même une marque de fabrique ! Enfin nous ne reviendrons pas une énième fois sur l'Allumage Electronique Intégral, première mondiale, de surcroît avec 15 ans d'avance sur la concurrence.


Tout ceci n'est pas innocent, car comme on l'a vu au cours de ce rapide historique, le projet initial qui deviendra la VISA est bien antérieur à la reprise par Peugeot. Alors oui, il serait enfin temps de reconnaître qu'il y a bel et bien de l'ADN Citroën en grande quantité dans le groin de cette chère VISA... 

 
 
 
 
 



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